ARTISANAT (Empire romain)

ARTISANAT (Empire romain)
ARTISANAT (Empire romain)

Si l’analyse des modes de production antiques est de grande actualité dans l’historiographie moderne, on sait comme les mots sont trompeurs: l’esclave à Rome est bien différent de l’esclave des plantations américaines; de même, l’artisan contemporain qui travaille à son compte après son apprentissage, qui est autonome et n’a que peu de collaborateurs est bien différent de l’artifex romain du Haut-Empire, un producteur de biens artisanaux, dont la condition est assez variée: simple ouvrier aussi bien que petit patron maître de sa boutique; homme libre ou esclave (à la fin de l’Antiquité, ce sera de toute façon un travailleur asservi); travailleur à demeure ou au contraire se déplaçant dans la succursale de son «entreprise» comme un potier, ou itinérant au gré des chantiers comme un mosaïste; certains enfin sont des ouvriers manuels tandis que d’autres sont des artistes ou déjà des membres des «professions libérales».

1. L’artisan dans la société romaine

Un discrédit généralisé

Dans la conception dominante de la société antique, la classe des producteurs est peu considérée: le mépris aristocratique est général pour les travailleurs manuels même libres, ces «artisans [...] qui n’ont d’autre avoir et d’autre crédit que dans leurs bras» (Salluste, Jugurtha , 73) et dont on peut se demander s’ils méritent d’être citoyens (Aristote, Politique , III, III, 2). C’est à Rome la tradition de l’otium aristocratique, de la noble inactivité, à laquelle s’ajoute l’idéologie de l’impérialisme romain: selon Virgile (Énéide , chant VI, v. 847-853), d’autres, c’est-à-dire les Grecs, pourront bien être de meilleurs sculpteurs orateurs ou astronomes, mais le vrai métier (artes ) du Romain sera de commander au monde. Au IIe siècle après J.-C., Lucien dans le Songe (paragr. 9), en traçant le parallèle entre une profession «libérale» et celle – manuelle – de sculpteur, résume bien les tares sociales de l’artisanat, même artistique: «Si tu te fais sculpteur, tu ne seras qu’un manœuvre, te fatiguant le corps, d’où dépendra toute l’espérance de ta vie, voué à l’obscurité, ne recevant qu’un salaire vil et modique, l’esprit flétri, isolé de tous [...], n’étant absolument qu’un ouvrier, un homme perdu dans la foule, à genoux devant les grands, humble serviteur de ceux qui ont l’éloquence, vivant comme un lièvre et destiné à être la proie du plus fort. Même si tu étais un Phidias, un Polyclète, si tu faisais mille chefs-d’œuvre, c’est ton art que chacun louera, et, parmi ceux qui les verront, il n’y en a pas un seul, s’il a du bon sens, qui désirera te ressembler car, si habile que tu sois, tu passeras toujours pour un artisan, un vil ouvrier, un homme qui vit du travail de ses mains.» Comme on voit, métiers d’art et métiers manuels ne sont pas, du moins en principe, différenciés: en 301, l’«édit du maximum» de l’empereur Dioclétien place dans une même tranche de salaires – 50 ou 60 deniers par jour – le maçon et le mosaïste, et le bronzier pour figurines et statues n’est payé qu’au poids de métal travaillé. En conséquence, ce n’est pas par hasard que même les plus grandes œuvres de l’art romain restent anonymes: leurs auteurs n’avaient pas vraiment d’existence sociale.

Une réalité plus nuancée

Néanmoins, les grands artistes comme Fabullus, le peintre du palais de Néron, accèdent à la considération sociale; quelques rares artistes locaux s’élèvent aux honneurs dans leurs cités, comme Loukios Sossios qui entre au conseil municipal de Cyrène au IIe siècle; des métiers sont moins méprisés que d’autres: ainsi celui de l’architecte qui, dans la conception de Vitruve (Architecture , I, 1), a besoin pour exercer sa profession d’une culture encyclopédique. Cicéron lui-même adhère certes à l’opinion traditionnelle sur les métiers manuels indignes d’un homme libre et sur la boutique ou l’atelier qui avilissent, mais il distingue la médecine, l’architecture, l’enseignement qui sont de beaux métiers, du moins «pour ceux au rang de qui ils conviennent» (Les Devoirs , 150): sa correspondance nous montre bien que son architecte personnel, l’esclave Cyrus, avait assez de culture et d’autorité pour discuter les opinions de son maître (Lettres à Atticus , III, 3). À la fin de l’Antiquité, la pensée chrétienne opère un renversement délibérément scandaleux des conceptions traditionnelles: ainsi Augustin loue l’apôtre Paul qui «exerçait un métier inoffensif et honnête, adapté aux besoins des hommes, comme le sont ceux des charpentiers, des maçons, des savetiers, des paysans et autres semblables».

L’opinion des intéressés

La plupart des artisans ne partagent pas du tout le mépris de la caste dirigeante: les artisans sont souvent fiers de leur métier, et le rappellent sans complexe sur leurs tombes, car ils sont loin de penser à l’immortalité de l’âme et savent bien qu’il ne restera d’eux après leur mort que l’évocation, par un texte ou une image, de leur vie active. On pense à la belle épitaphe de l’ingénieur hydraulicien d’Arles Q. Candidus Benignus (Corpus inscriptionum latinarum , C.I.L. , XII, 722) ou à la représentation du charpentier de marine (faber navalis ) P. Longidienus sur une stèle du musée archéologique de Ravenne où il figure en train de façonner une pièce de bois, avec la légende (dans une sorte de «bulle»): «Longidienus se hâte à la tâche.» Les monuments funéraires les plus pauvres ne portent que la représentation des outils; d’autres, plus riches, un buste et un instrument qui est l’«arme parlante» de l’artisan, la truelle du maçon par exemple; d’autres enfin, encore plus importants, mettent en scène l’activité de l’artisan (ou du marchand) dans son atelier ou sa boutique, qu’il soit coutelier ou forgeron, marchand de céramique ou boucher: ce répertoire se retrouve en abondance dans la Gaule romaine, mais il est présent aussi bien en Italie (à Rome même, on pense au décor figuré du tombeau du boulanger «industriel» M. Vergilius Eurysaces au milieu du Ier s. av. J.-C.) et en Orient, tandis qu’en Afrique cette iconographie fait curieusement défaut. Il est remarquable que ce soit sur ces tombes seulement que l’on arrive à voir des artistes au travail: par exemple un peintre de fresques murales sur une stèle du musée de Sens, ou des sculpteurs de sarcophages (stèle d’un artisan chrétien au musée municipal d’Urbino), de monuments funéraires (stèle d’Amabilis, musée d’Aquitaine, Bordeaux) ou de portraits (stèle du musée du Vatican, fin du Ier siècle apr. J.-C.).

Une certaine reconnaissance officielle

Sur les décors funéraires s’affirme ainsi la mentalité de cette «classe» de travailleurs libres, affranchis ou esclaves, que l’on retrouve parodiée dans l’épisode du banquet chez Trimalcion du roman de Pétrone, le Satiricon , dans la seconde moitié du Ier siècle de notre ère; mais leur place dans la société est aussi reconnue de façon plus ou moins officielle à la fin de la République et au cours du Haut-Empire du fait de l’organisation de nombreux artisans en associations professionnelles (collegium , corpus ) qui se retrouvent partout dans le monde romain (ici encore l’Afrique est curieusement très mal représentée). Il ne faut évidemment pas imaginer ces groupements sur le modèle de corporations médiévales, encore moins sur celui de nos syndicats ou mutuelles, car ils ne visent pas à organiser l’exercice d’un métier, à représenter des adhérents ou à procurer des secours, mais surtout à payer des obsèques et à pratiquer un culte. De fait, ils procurent à leurs membres, exclus de la direction des affaires municipales, un succédané de vie sociale: comme les cités, ces groupes ont une organisation avec un dirigeant (magister ), un bureau, une caisse qui reçoit les cotisations mensuelles des «collègues» et un siège (schola ) pour leurs assemblées générales, leurs banquets et leur culte; les collèges permettent ainsi à ces exclus d’être officiellement en rapport avec de grands personnages (patronus ) qu’ils honorent, par exemple par des statues et des inscriptions comme on le voit sur la «table de patronage» des ouvriers du bâtiment de Bolsena en Italie en 224 (C.I.L. , XI, 2702), et qui les protègent ou les subventionnent: ainsi à Narbonne, en 149, un riche «patron» établit une fondation de 16 000 sesterces pour qu’un certain corps de métier de la ville, les fabri subaediani (artisans du second œuvre?), célèbre chaque année sa naissance par un banquet au cours duquel ils se partageront les intérêts à 12,5 p. 100 de la somme, soit 2 000 sesterces (C.I.L. , XII, 4393).

De peur qu’elles ne pratiquent la revendication politique, l’État romain a en général interdit ces associations: ainsi à l’époque de la «conjuration» de Catilina en 64 avant J.-C. ou à Pompéi après les troubles de 59 de notre ère ou en 111 en Bithynie où l’empereur Trajan refuse même à son gouverneur Pline le Jeune de reconnaître un collège d’ouvriers du bâtiment qui serviraient de pompiers; et la loi d’Auguste qui réglemente le droit d’association est très précautionneuse. Pourtant, les associations ne sont pas un organe de contestation et pratiquent volontiers le culte impérial (on pense à l’Arc des «argentiers» à Rome, offert par les changeurs et les marchands de bœufs): elles sont de fait tolérées et jouent un rôle social important, en procurant à leurs membres, même esclaves, de la considération; ainsi les artisans peuvent constituer des groupes de pression lors des élections municipales de Pompéi. Cette intégration dans la société romaine est encore plus grande s’il s’agit d’artisans membres des trois collèges les plus importants en nombre d’adhérents, les mieux attestés dans de nombreuses villes, et qui assurent un service d’utilité publique, celui de pompiers: les fabri tignarii (ouvriers du bâtiment), les centonarii (fabricants des bâches qui servent à éteindre les incendies) et les dendrophori (marchands de bois?).

Les artisans du Bas-Empire

Au IIIe siècle, la situation des artisans change pour aboutir au Bas-Empire à une mutation complète du système des «collèges», qui deviennent des organismes d’État dont le recrutement est forcé et héréditaire; l’empereur Valentinien Ier édicte ainsi en 365: «Quiconque aura été une fois attaché au collège des boulangers (corpus pistorum ) ne peut obtenir la faculté d’en sortir, sous quelque prétexte que ce soit, même si tous ses collègues y consentent» (Code théodosien , XIII, III, 8). Le système est généralisé et presque «totalitaire», mais il vise surtout à assurer à Rome, à Constantinople et dans les grandes villes le ravitaillement (annona ), et les corporations les plus touchées sont celles des transporteurs (surtout les armateurs qui sont responsables de l’importation du blé) et des boulangers. En 384, Symmaque (Relatio , 14) décrit l’organisation qui fait vivre Rome: elle nécessite l’activité des associations (corpora ) qui procurent la viande de mouton, de bœuf, de porc ou le bois de chauffage, qui assurent les constructions et éteignent les incendies, ainsi que des cabaretiers, des boulangers, des porteurs de blé et d’huile, etc.: tous sont désormais des «serviteurs de la patrie» (Patriae servientes ). La charge est si lourde et si impopulaire que tous les moyens sont bons pour échapper à la condition d’artisan, même l’entrée dans le clergé catholique: les textes juridiques nous renseignent abondamment sur la lutte de l’État impérial contre cette fuite des artisans forcés, «attachés à leur fonction» (obnoxii functioni ). Ce système autoritaire qui dure jusqu’au VIe siècle en Occident est sûrement l’aspect le plus original de l’organisation romaine du travail. Il est remarquable que les préoccupations de l’État se soient parfois étendues aux «métiers d’art» soulagés par des exemptions fiscales: des lois de 334, 337, 344 favorisent ainsi les architectes, les peintres, les sculpteurs, les orfèvres, les mosaïstes et de nombreuses autres catégories d’artisans (Code théodosien , XIII, IV, 1-3).

2. L’activité professionnelle

Lieux de production et d’échanges

C’est en ville qu’on trouve tous les corps de métiers (on en a dénombré 225 dans l’Occident romain), et Rome, Ostie ou une capitale provinciale comme Lyon sont le siège de très nombreux collèges; mais il faut penser qu’une grande partie de l’activité «industrielle» se passe à la campagne: les «officines» de céramique ont besoin d’argile et de combustible tout autant que d’un marché proche, ce qui explique l’importance d’une production rurale (La Graufesenque, Lezoux pour la sigillée de Gaule) par opposition à des fabrications urbaines, comme à Naples ou à Lyon; et de grandes exploitations agricoles (villae ) de la Gaule du Nord devaient abriter aussi des ateliers de tissage si l’on en juge par les décors des tombeaux de leurs riches propriétaires (par exemple celui d’Igel, près de Trèves).

La structure économique

L’activité de l’artisan doit être souvent envisagée de façon indépendante dans le cadre de la taberna urbaine, à la fois atelier, boutique, parfois habitat, comme chez les bronziers d’Alésia. Mais il y a souvent aussi des unités de production plus grandes, qu’on aimerait pouvoir appeler des «usines» si le terme n’était pas si anachronique, et qui abritent des activités variées et des ouvriers en nombre: on peut penser à la production des briques ou de la céramique de luxe (à Arezzo, un Perennius a quelques dizaines d’esclaves), au polissage du marbre dans l’atelier de Chemtou (Tunisie actuelle) ou aux grandes boulangeries comme celle d’Eurysaces. Enfin, il doit exister des sortes de coopératives regroupant pour certaines opérations des artisans indépendants: c’est ainsi qu’on se représente la cuisson dans des fours collectifs de grandes quantités de vases fabriqués par des potiers isolés. Un document comptable comme tel bordereau d’enfournement trouvé sur le site de La Graufesenque (Aveyron) montre bien dans sa langue mâtinée de gaulois et de latin, pour le «21e chargement de la 1re fournée, au bordereau 10 d’enfournement», que divers potiers isolés (Verecundos, Albanos, Albinos, Summacos, Deprosagijos, Masuetos) et d’autres déjà associés (Felix et Scota, Tritos et Privatos) ont donné à cuire des vases de formes et de modules variés, pour un total de 22 945 pièces.

Travail répétitif, travail parcellisé

Loin d’être responsable de la réalisation intégrale d’un «chef-d’œuvre», l’artisan romain est plutôt astreint, comme un ouvrier moderne, à un travail répétitif, par exemple, pour le malaxage du mortier ou la fabrication des matériaux de construction, comme les briques ou les petits moellons pyramidaux caractéristiques de la maçonnerie du début de l’Empire (opus reticulatum ): cette rationalisation de la production ne se comprend que dans le cadre du système esclavagiste romain où une main-d’œuvre abondante mais sans culture peut remplacer les tailleurs de pierre spécialistes du «grand appareil». Dans d’autres cas, c’est plutôt d’une parcellisation de la tâche qu’il s’agit, plus proche de la conception traditionnelle de l’artisanat selon laquelle apprentis et ouvriers qualifiés n’ont évidemment pas les mêmes missions: dans une équipe de mosaïstes, certains dessinent les figures en couleurs tandis que d’autres ne font que remplir le fond uniformément blanc; à la fin de l’Antiquité, Augustin, dans la Cité de Dieu , livre VII, chapitre IV, donne une évocation méprisante du travail des artisans chez qui «le moindre petit vase, pour sortir achevé, passe par de nombreuses mains, alors qu’un artisan achevé pourrait l’achever à lui seul. Mais c’est qu’on n’a rien trouvé de mieux pour la foule de ceux qui travaillent: en acquérant chacun, assez vite et sans trop de peine, la pratique d’une partie seulement de leur art, ils se dispensent du long et pénible effort qui les rendrait maîtres achevés dans la totalité de cet art».

Le prix du travail

Le prix des produits antiques manque souvent, d’où l’intérêt des indications données par des textes comme l’édit du maximum ou quelques trouvailles comme celle d’une stèle d’Escolives (Yonne), dédiée à la déesse Rosmerta et sur laquelle le prix – 21 sesterces – est resté marqué. Un autre exemple nous est donné par une belle statuette de bronze de la région de Lincoln (Angleterre), d’un poids équivalant à 5 livres romaines, qui représente le dieu Mars et porte l’inscription: «Bruccius et Caratius Colasunus ont offert (cette statuette) au dieu Mars et aux divinités des empereurs, à leurs frais, pour un coût de 100 sesterces (20 deniers); le bronzier Celatus l’a faite et a offert une livre de bronze travaillé d’une valeur de 3 deniers» (C.I.L. , VII, 180), ce qui peut se comparer au salaire du bronzier fixé dans l’édit du maximum à 4 deniers par livre de métal travaillé.

La propriété de l’œuvre

Le travail de l’artisan a donné lieu à toute une casuistique juridique: l’œuvre appartient-elle au commanditaire, propriétaire de la matière première (métal à ciseler, peinture à étendre), ou au réalisateur qui lui confère une forme (species ) nouvelle? La solution sera différente selon que le retour à la forme première est possible ou non (Digeste , XLI, I, 7, 7). Par l’intermédiaire de la réflexion juridique, l’activité artisanale a donc pu d’une certaine façon se trouver reconnue et protégée. Une signature apposée sur une réalisation fait parfois problème: c’est le commanditaire, ou l’empereur, qui signe (fecit ) une œuvre importante, un monument public, et non l’architecte; sur des travaux privés, l’artisan peut mettre son nom, mais il n’y a là aucune régularité: les mosaïques sont beaucoup plus souvent signées que les peintures murales. La signature ne vise d’ailleurs pas à garantir une propriété morale; paradoxalement, les signatures les plus fréquentes sont celles de potiers, souvent esclaves, auteurs d’œuvres répétitives: dans ce cas, l’estampille peut être interprétée comme marque de fabrique ou comme repère de production ou comme publicité (parfois mensongère, telle l’estampille Arretinum verum vas sur une céramique qui n’est pas d’Arezzo).

3. L’artisanat artistique

La commande

Un commanditaire peut s’adresser à un artisan ou à un artiste en dirigeant plus ou moins son œuvre; un texte du IIe siècle nous fait assister ainsi à une discussion sur la construction de bains à partir de dessins sur parchemin présentés simultanément par plusieurs constructeurs et à une sorte d’examen des devis (Aulu Gelle, Nuits attiques , XIX, 10); au contraire, lorsque Trimalcion dans le Satiricon de Pétrone passe commande de son tombeau, le programme iconographique est très contraignant mais la forme du monument, le style de la représentation ne sont pas précisés: «... je te prie de représenter sur mon monument des navires voguant à pleines voiles, et moi-même siégeant sur une estrade, vêtu de la toge prétexte et portant cinq bagues, en train de distribuer au public des pièces que je prends dans un sac [...] et tu mettras aussi tout le peuple en train de s’empiffrer...» (paragr. 71); le texte est certes parodique mais il paraît bien rendre compte des rapports les plus fréquents entre artisan et commanditaire.

La copie et la transmission du répertoire

Il y avait peu de risques de voir les artisans romains abuser de leur liberté de créer: bien que des techniques nouvelles puissent s’introduire (par exemple dans la construction ou dans la céramique), en matière d’art, où la doctrine de l’imitation reste fondamentale, l’innovation n’est pas pour eux une valeur essentielle et la copie n’est pas déshonorante. Il peut s’agir de moulages complets comme dans la céramique sigillée ou en sculpture: un texte du IIe siècle évoque ainsi un bel Hermès d’Athènes, «ce dieu de bronze, si bien dessiné, aux contours si harmonieux», mais qui est «rempli de poix car les statuaires en font tous les jours une empreinte» (Lucien, Jupiter tragique , 33); ou bien il peut s’agir de répétitions faites de mémoire, de petites adaptations de l’iconographie dans les arts figurés où il n’est pas, semble-t-il, nécessaire de retenir l’hypothèse de cahiers de modèles précis: l’artisan ou l’artiste qui voyage n’emporte que son savoir et quelques outils (Philostrate, Apollonios de Tyane , V, 21).

Le style et la qualité

Le producteur «romain» de représentations figurées peut s’inscrire dans plusieurs traditions esthétiques: celle de sa province particulière (par exemple les reliefs funéraires de Palmyre), ou bien celle du classicisme grec et du réalisme qui est dominante (par exemple la stèle du musée du Vatican, représentant un sculpteur), ou bien encore celle de l’Italie centrale, l’art dit «plébéien» expressif, moins académique et cultivé (comme sur la représentation des tailleurs de pierre d’Ostie) qui convient à la technique parfois sommaire des artisans. De façon générale, il ne faut pas s’exagérer la qualité de la production romaine: à côté de la remarquable architecture du pont du Gard, l’aqueduc d’Uzès à Nîmes présente des malfaçons grossières; cette irrégularité est typique de la production artisanale. L’immense majorité des consommateurs romains devait s’en satisfaire sans problème.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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